Quand il était petit, il s’amusait à écraser les fourmis pour les étudier, et appréciait autant les voir se débattre individuellement que s’échiner vaillamment à le repousser toutes ensemble quand il allait trop loin. Et ce qui le fascinait, c’était de voir leur stratégie de survie collective évoluer peu à peu devant le fléau insurmontable, le colosse piétineur en culote courte qu’il était alors.
En grandissant, c’est sur les domestiques du manoir familial et sur ses camarades de classe qu’il répéta ses expériences. Les mêmes.

Mais ça, ce n’est qu’une des nombreuses anecdotes qu’il se plait à raconter, sourire vissé aux lèvres, quand on lui demande ce qui a poussé un zoologue de formation à rejoindre la marine mondiale. Dans ses études et ses lectures oisives, Odo s’est plongé dans les sciences comportementales, a ingurgité des bibliothèques entières d’ouvrages consacrés à la théorie des jeux et à la philosophie pour enfin faire le choix improbable d’une candidature auprès de l’une des sections les moins prestigieuses de toute la marine scientifique : l’unité des chercheurs en psychologie non thérapeutique de la base G-8. Quitte à être fasciné par le quotidien des organisations humaines, autant avoir pour terrain de jeu la plus grosse qui soit, le gouvernement mondial.

Quand il doit expliquer ce qu’il fait dans la vie, Odo se définit comme un « kiné pour orgas défaillantes », « celles qui croient que leurs effectifs constituent les rouages d’une machine mal huilée qu’il faudrait réparer ou bien optimiser, alors qu’en fait il vaudrait mieux penser à eux comme des bancs de crevettes-mousquetaires affairées à survivre pendant la marée basse. Enfin, quand on essaie de réfléchir à un problème d’efficience logistique, en tout cas ».

Quand l’ex-Vegapunk s’accaparait la supervision et la paternité des résultats d’une recherche prometteuse, il retrouvait le comportement du Brabanoar à moustache, une espèce de suricates endémique d’Alabasta chez qui les couples dominants urinent sur leurs congénères inféodés pour les marquer de leur odeur et exprimer leur autorité. Etrangement, ledit Vegapunk n’a guère apprécié que la comparaison serve de base à l’élaboration du « Dispositif Rokadovore » présenté lors du quatorzième Tech Talk Marijoan, un recueil formalisé de techniques d’infiltration d’agents dans les réseaux de criminalité organisée (récemment mis en place à titre expérimental par la marine et les neuf bureaux avec un taux de réussite de 69%, en amélioration constante !).

Quand tout le monde bave d’admiration devant un être charismatique, lui voit l’effet des hormones et phéromones sécrétées par ledit individu et se dit que dans une autre vie, il aurait bien été endocrinologue pour mieux comprendre tout ça. Et politologue. Anthropologue et historien, aussi. Mais à défaut, il a la chance d’avoir plusieurs collègues très compétents en la matière.

Ce qui l’a toujours intéressé, c’est de mettre ses théories en pratique. Etudier les failles organisationnelles, trier les incitations indésirables provoquées par des règles, disséquer la substantifique moelle des jeux de pouvoirs, dresser les conséquences d’un arbitrage sur l’ensemble de la structure… le règne animal contient déjà des pistes pour chaque réponse, il suffit de les trouver.

Son truc, c’est de voir si mettre en relation deux lieutenants aux profils incompatibles donnera naissance à une rivalité qui décuplera leurs progressions individuelles – dans quelle mesure, et s’il est préférable que cette rivalité soit courtoise ou conflictuelle, en fonction de quels paramètres, et comment cela s’imbrique dans ses autres projets visant à améliorer la marine par le groupe plutôt que par l’individu.

Son truc, c’est de voir si le bureau des RH de la base marine G4 sera plus efficace, plus harmonieux ou plus apprécié selon qu’on lui impose de respecter la structure sociale des castors Boréens à dents de sabre ou des hérons cendrés à plumes pyroclastiques qui migrent occasionnellement de West Blue à Redine.

Son truc, c’est de voir si votre contre-amiral lambda stationné sur la route de tous les périls sera plus efficace à être célibataire, à avoir sa compagne auprès de lui (voire parmi ses collègues, parce qu’il a déjà réussi à mettre en couple quelques centaines d’échantillons d’officiers pour les besoins de ses expériences visant à reproduire ce qu’il appelle le syndrome Haylor-Dogaku), ou à entretenir une relation empreinte de tension et de sous-entendus sexuels avec la supernova pirate sensuellement magnétique qu’il ne parvient jamais à coffrer comme par hasard (ou Effet Catwoman).

Et le pire, c’est que ça marche.